Coup de gueule
Octobre 2019, je reviens de mon séjour dans un coin d’Auvergne où, chaque année, je vais assister à ce spectacle magnifique qu’est le brame du cerf.
Cette fois-ci, je ne rapporte que très peu de photos. Mais ça, ce n’est pas grave, on s’en fiche. Ce qui me fait mal au ventre, mal au cœur, c’est ça: la disparition programmée de l’un de nos plus grand et plus beau mammifère.
Déjà, depuis plusieurs saisons, je notais un déclin rapide des populations de cervidés. J’ai vu, il y a à peine 5 ou 6 ans, des 16 cors, des bêtes majestueuses, j’ai entendu des brames à longueur de nuits et de journées. Maintenant, quand on aperçoit un cerf, c’est au mieux un 10 cors, plus généralement un 8. J’ai même observé un 6 cors, un ado, qui menait ses biches.
Les gens du pays, comme les nombreux touristes, avaient plaisir à venir écouter le brame. Regarder les grands cerfs sortir des bois et mener leurs biches à travers les près, parfois des hardes de 10 à 15 femelles, parfois plus. Tout le long des routes, des dizaines de voitures étaient arrêtées, des familles entières étaient là, à observer.
Venez maintenant vous rendre compte : vous ne verrez qu’une voiture s’arrêter de-ci, de-là, baisser les vitres, écouter le silence, et repartir.
Mais c’est vrai aussi qu’il y avait des abus : les voitures circulaient la nuit sur les routes goudronnées qui traversent les forêts, et ça dérangeait énormément. Ainsi, certaines municipalités ont fait des efforts : durant un mois, de mi-septembre à mi-octobre, l’accès à ces sentiers est strictement interdit aux véhicules de 19h à 8h du matin pour ne pas déranger le brame. PV à la clé en cas de transgression.
Mais cela n’empêche pas les irréductibles de s’y rendre à pied et de traverser les bois !
Et puis, 3ème dimanche d’octobre, les routes sont rouvertes, le brame touche à sa fin et … la chasse au cervidés commence ! Ça tire dans tous les sens, les trophées tombent. On ne cherche plus à protéger la tranquillité du brame, c’est l’heure du carnage et il faut se dépêcher car les grands cerfs, les cerfs-pèlerins, qui étaient descendus des montagnes repartent dans leur secteur. (Les cerfs-pèlerins peuvent parcourir 100 à 150 km pour saillir les biches quand les cerfs sédentaires sont peu nombreux )
Durant le rut des cerfs, les sociétés de chasse procèdent à des comptages et utilisent entre autre l’écoute des brames. Ils établissent ainsi un quota de bêtes à tuer. Ce chiffre, qui sera ensuite systématiquement revu à la hausse par l’ONF, inclut donc aussi ces cerfs-pèlerins qui ne sont présents dans ce territoire que temporairement.
C’est sûr, quand il n’y aura plus de cervidés, les plantations de pins et de sapins pousseront plus vite. Cerfs et bichent préfèrent grignoter les jeunes pousses de Douglas, cette espèce de pins venue d’Amérique qui, en 10 ans à peine, pousse plus vite et plus haut que les espèces locales, et donc nettement plus rentables commercialement. Que voulez-vous, les tronçonneuses marchent plus vite que les scies d’autrefois. Il faut que la Nature suive le rythme.
Donc, sans cerfs, davantage d’arbres … et de ronces, mais ça, on verra plus tard, on trouvera bien un désherbant chimique pour lutter contre tout ce qui gênera et qui servait de nourriture aux cervidés…
Et puis, il y aura davantage d’herbe dans les prés pour les vaches. C’est certain, ça va résoudre les problèmes des éleveurs…
Quant au tourisme, il y a fort à parier qu'il suivra la même pente descendante que le nombre de cervidés.
Mais, quand il n’y aura plus de cerfs, comment vont faire les sociétés de chasse, qui vendent sur pied leurs plus beaux spécimens (1500 à 2000 euro la tête) à de riches chasseurs, amateurs de trophées et de sensations fortes ?
("Mettez-vous là, on va vous rabattre le cerf et vous pourrez le tirer quand il passera devant vous")
WOAW !
Cet argent qui, pour l’heure, sert à alimenter les caisses des ACCA et qui permet, entre autre, de construire, pour chaque société, sa « maison de la chasse » avec tout l’équipement nécessaire :
frigos, salle de découpe, salle de réunion et de banquets pour les guerriers...
On verra plus tard. En attendant, on profite de ce qu’il reste, de ces animaux sauvages, qualifiés par l’article 515-14 du Code Civil de res nullius, c’est à dire qui n’ont pas de propriétaire, qui n’appartiennent à personne, mais qui sont pourtant vendus par les sociétés de chasse !
Cherchez l’erreur …
Et je revois ce gosse d’une dizaine d’années, habillé de pied en cap comme son père, chasseur et président d’ACCA, fier de me dire : "Quand je serai grand, moi aussi je chasserai le cerf" ! Mais non, gamin, dans 10 ans, tu n’auras plus l’occasion de voir un cerf, de le toucher (mort, évidemment).
Tu les chercheras dans tes souvenirs.
En attendant, tu connais déjà aussi les traques de sangliers,
et tu sais même comment on déterre blaireaux et renards…
Et ne vous dites pas, "ça se passe là-bas, en Auvergne, ça n'arrivera pas chez nous."
Et bien si ! Ne vous y trompez pas, on est sur la même lancée.
Commencez à pleurer,
la disparition des cerfs est programmée.
………………………………………………………...
Allez-y, lâchez-vous, laissez vos commentaires.
Dites-moi que j’ai tort, j’aimerais tellement avoir tort.
Isabelle Cros,
octobre 2019
Notes d'octobre 2017 de Jacques Borrel
... Il y a une pratique tout aussi scandaleuse (...) désormais commune en Auvergne et dans bien d'autres régions sans doute : Une société communale de chasse se voit attribuer par la Fédération Départementale pour une saison de chasse un certain nombre de bracelets d'animaux à tuer.
Ceci, officiellement du moins, afin de gérer les populations de cervidés pour maintenir le fameux équilibre "agro sylvo cynégétique". Soit.
Mais, entre cervidés et sangliers, le nombre d'animaux à dépecer est tel que les sociétés communales doivent s'équiper de locaux adaptés et conformes aux règles élémentaires de santé alimentaire (salles carrelées, chambres froides etc ...)
Cela est évidemment couteux et les chasseurs ne veulent - ou ne peuvent - faire face aux frais à engager.
Ils vendent donc deux, trois, quatre têtes de grands cerfs à des "chasseurs" fortunés, finançant de la sorte leur "maison de la chasse"sans bourse délier ! Le gibier à priori bien commun à tous, attribué gratuitement aux chasseurs, est ainsi privatisé et vendu pour l'intérêt de quelques uns !
On arrive ainsi à chasser gratuitement (le système finance aussi, bien sûr, le coût des bracelets dûs à la Fédération de chasse) et, en plus, on est propriétaire de biens.
On est bien loin, me semble-t-il, d'une gestion prudente et raisonnée du patrimoine .
Le seul perdant est le citoyen lambda qui rêvait de faire voir une biche et son faon ou un grand cerf à ses enfants et qui participe avec ses impôts "au maintien de la biodiversité".
... Il y a une pratique tout aussi scandaleuse (...) désormais commune en Auvergne et dans bien d'autres régions sans doute : Une société communale de chasse se voit attribuer par la Fédération Départementale pour une saison de chasse un certain nombre de bracelets d'animaux à tuer.
Ceci, officiellement du moins, afin de gérer les populations de cervidés pour maintenir le fameux équilibre "agro sylvo cynégétique". Soit.
Mais, entre cervidés et sangliers, le nombre d'animaux à dépecer est tel que les sociétés communales doivent s'équiper de locaux adaptés et conformes aux règles élémentaires de santé alimentaire (salles carrelées, chambres froides etc ...)
Cela est évidemment couteux et les chasseurs ne veulent - ou ne peuvent - faire face aux frais à engager.
Ils vendent donc deux, trois, quatre têtes de grands cerfs à des "chasseurs" fortunés, finançant de la sorte leur "maison de la chasse"sans bourse délier ! Le gibier à priori bien commun à tous, attribué gratuitement aux chasseurs, est ainsi privatisé et vendu pour l'intérêt de quelques uns !
On arrive ainsi à chasser gratuitement (le système finance aussi, bien sûr, le coût des bracelets dûs à la Fédération de chasse) et, en plus, on est propriétaire de biens.
On est bien loin, me semble-t-il, d'une gestion prudente et raisonnée du patrimoine .
Le seul perdant est le citoyen lambda qui rêvait de faire voir une biche et son faon ou un grand cerf à ses enfants et qui participe avec ses impôts "au maintien de la biodiversité".